Tous deux masseurs-kinésithérapeutes, Marie et Vincent se sont lancés il y a un peu moins d’un an dans le projet d’un podcast sur la kinésithérapie pour parler de cas cliniques et d’evidence based practice en moins de 30 minutes. Les podcasts sont réalisés le “temps d’un lapin”, histoire de mettre à profit le temps laissé vacant par les patients qui ne se présentent pas à un rendez-vous. Le résultat ? Des émissions accessibles à tous pour mieux comprendre la kinésithérapie telle qu’elle est aujourd’hui : basée sur les données probantes de la science et centrée autour du patient.
MFM – Bonjour Marie et Vincent ! Vous êtes tous les deux masseurs-kinés et créateurs du podcast “Le temps d’un lapin”, pouvez-vous nous en dire plus ?
[Vincent] – Pour ma part, je suis kiné à côté de Grenoble. J’exerce depuis 12 ans, j’ai beaucoup orienté ma formation continue et ma pratique ces dernières années autour des problèmes de dos, de la douleur et de l’activité physique pour les patients souffrant de maladies chroniques. Je suis aussi investi plus largement pour la profession, je suis élu au conseil départemental de l’Ordre des kinés où je suis secrétaire général.
[Marie] – Et moi je suis kiné à côté de Lyon. Je suis en activité depuis 9 ans, j’ai exercé dans plusieurs cabinets libéraux mais aussi dans un poste hospitalier très polyvalent. Je reçois maintenant essentiellement des patients adultes au décours de parcours douloureux souvent longs et complexes. Au travers de mon engagement sur les réseaux sociaux, j’essaie de mieux faire connaître mon métier pour en optimiser le recours.
MFM – Comment est né votre podcast “Le temps d’un lapin” ?
[Marie et Vincent] Le podcast est né l’été dernier. Il existait déjà plusieurs podcasts autour de la kinésithérapie mais réalisés pour la plupart par des kinésithérapeutes étrangers (anglais, canadiens, australiens, …). Le plus connu en France, animé par Guillaume Deville, est d’un format plus long. Nous souhaitions créer une alternative accessible également à des personnes non spécialistes et non initiées à la kinésithérapie, au-delà de nos confrères, comme les autres soignants, les prescripteurs et pourquoi pas à d’éventuels patients.
MFM – Quels sont les objectifs de “Le temps d’un lapin” ?
[Marie et Vincent] Notre objectif principal est de montrer que la kinésithérapie qui s’appuie sur les données de la science est une discipline centrée sur le patient. L’Evidence Based Practice n’a pas pour but de traiter les patients comme des statistiques comme on peut le lire sur certains réseaux.
Au contraire, l’écoute et la prise en compte du vécu du patient sont indispensables dans cette approche scientifique. C’est ce qu’on essaie de mettre en avant en essayant de rester critiques sur nos pratiques. Nous voulons encourager le virage vers une kinésithérapie plus scientifique, plus rigoureuse dont les résultats ne pourront être que meilleurs.
Nous nous efforçons également de lutter contre les idées reçues sur la douleur. Celles-ci sont tr!s ancrées, tant chez les médecins que les patients. Or, elles peuvent influer de manière très négative sur l’état du patient, et c’est d’autant plus vrai lorsqu’elles sont relayées par des personnes vues comme référentes que sont les soignants.
MFM – À qui s’adresse le podcast ?
[Marie et Vincent] On s’adresse d’une part aux kinésithérapeutes curieux de faire évoluer leurs pratiques ou de réfléchir sur des situations cliniques.
On s’adresse également aux médecins prescripteurs pour leur montrer ce qu’on peut attendre aujourd’hui d’un kinésithérapeute, en termes de capacités d’analyse, mais aussi de compétences et de communication pluriprofessionnelle.
Enfin, on s’adresse aux patients, pour leur faire découvrir que la kinésithérapie ne se limite pas aux techniques manuelles, leur montrer qu’ils doivent être au centre de leur prise en charge, participer aux décisions les concernant et que l’on doit prendre en compte qui ils sont et ce qu’ils veulent.
MFM – Quelles sont les connaissances et les expertises en kiné que vous avez envie de partager avec d’autres soignants ?
[Vincent] – Ce que j’aimerais partager avec les autres soignants, c’est un scepticisme bienveillant. Quand on va en formation (pour ceux qui se forment…), il y a souvent un phénomène que je qualifie de « suspension volontaire de l’incrédulité ou de l’esprit critique ». Il y a ce biais qui veut que parce qu’une personne a été désignée pour transmettre ses connaissances, celles-ci sont vraies et ne peuvent être remises en question. Or, même des universitaires avec une grande carrière scientifique ont des biais de raisonnement, ont des opinions. Nous-mêmes, au temps d’un lapin, on a de gros biais de raisonnement !
[Marie] – Ce que j’aimerais montrer c’est combien la kinésithérapie ne repose pas que sur les mains d’un professionnel de santé mais aussi sur la réflexion qui l’amène à utiliser (ou non) ses mains. Une réflexion qui amène à considérer le vécu de l’individu, ses croyances, son parcours antérieur, ses propres objectifs et ses propres capacités, trop souvent omises. L’hyper-précautionnisme ambiant fait beaucoup de dégâts auprès de patients emprisonnés dans la crainte de souffrir/de se blesser, souvent induite sans justification scientifique.
Il y a nettement moins de faux mouvements que de variations brutales de rythme d’entraînement dans le déclenchement de phénomènes douloureux. Le premier trop souvent cité n’est pas du ressort du patient qui peut se percevoir fragile, surtout s’il pense s’être blessé sans raison. A contrario le second, plus plausible est aussi plus compréhensible pour le patient qui saura plus facilement quoi faire pour remédier à la douleur.
MFM – À ce titre, quelles émissions de “Le temps d’un lapin” leur recommanderiez-vous ?
[Vincent] – Un de nos épisodes préférés, c’est l’épisode de Marine. C’est aussi celui qui a eu le plus d’audience. On y reçoit donc Marine, une patiente, qui a été suivie à distance par Marie (à l’époque où on ne parlait pas encore de télésoin). Elle nous partage son parcours, ses inquiétudes, ses questions, son évolution et ses réussites.
[Marie] – Cet épisode, qui relate mes premiers essais de télésoin, m’a beaucoup fait évoluer. Je ne pensais pas à l’époque pouvoir atteindre un tel résultat à distance. C’est pourquoi, il me semble essentiel de le mettre en valeur, pour questionner notamment l’intérêt du présentiel et rappeler que c’est la démarche thérapeutique qui compte. On parle beaucoup du mal de dos ces temps-ci, je cite encore souvent notre premier cas clinique “Le lapin, le sport et le mal de dos” où une jeune femme est libérée assez rapidement de douleurs pourtant durables en recommençant à bouger sans peur de se blesser. La peur est centrale dans cet épisode et il me semble important de discuter de l’impact des mots sur les comportements des patients et leur douleur.