Le regard du Dr. Christian Lehmann, médecin généraliste, sur la télémédecine

Le regard du Dr. Christian Lehmann, médecin généraliste, sur la télémédecine

Le Dr. Christian Lehmann est médecin depuis 36 ans. Il est également écrivain. La crise de la Covid a constitué un moment singulier dans sa carrière. Non seulement il a créé un centre Covid à Poissy mais il a aussi découvert le télésoin et a dû adapter ses pratiques en à peine quelques heures. Il nous raconte. 

Ma Formation Médicale  : Dans quelles circonstances avez-vous commencé la téléconsultation ?

Christian Lehmann : Je m’y suis mis le 16 mars 2020, du fait de la Covid, bien sûr, mais aussi parce que du jour au lendemain, la législation a volé en éclats devant la nécessité d’agir vite.  Pour la première fois en 36 ans, la CNAM et la DGS nous ont fait confiance et les téléconsultations ont été remboursées. Le médecin est devenu un soldat au front qu’il fallait armer quoiqu’il arrive. Nous n’avons pas eu besoin de contractualiser avec une plateforme dans la mesure où nous avions le droit d’utiliser tous les moyens possibles (Skype, Whatsapp, Zoom, et même le téléphone pour les patients les plus âgées). La DGS a même publié un document d’une soixantaine de pages pour aider les médecins durant cette crise. Cela nous a donné la possibilité d’agir et d’être proactifs sans être contraints par des protocoles extérieurs. 

Ma Formation Médicale  : Comment avez-vous mis en place la téléconsultation ? 

Christian Lehmann : J’étais un farouche opposant à la téléconsultation. Avant la crise, je ne voyais pas comment elle pouvait remplacer la consultation présentielle. Et puis, je me suis retrouvé dans une situation inédite et pour des raisons de sécurité pour les patients comme pour moi, il a fallu s’y mettre. 

Dès le début du confinement, j’ai arrêté de recevoir les patients au cabinet et j’ai ouvert des plages de téléconsultation qui me permettaient de “voir” 18 à 22 patients par jour. 

Je voyais en priorité les patients malades de la Covid, et j’assurais le suivi de ceux que j’avais vu au centre Covid ainsi que leur entourage. Il y avait aussi tous les patients que je connaissais et qui avaient besoin d’un suivi du fait de maladies chroniques. Je me suis aussi mis à appeler les patients que je n’avais pas vu depuis longtemps : cela m’a permis de prévenir des aggravations ou des maladies qui n’auraient pas été prises en charge. Je ne voulais pas que les gens se retrouvent avec des pathologies avancées aux urgences. Et ça a marché. 

Je me suis retrouvé comme beaucoup de mes confrères à travailler un peu à “l’arrache”, à faire un job que je n’avais jamais fait même si je connaissais bien mes patients. J’avais déjà une certaine maîtrise des outils informatiques mais j’ai appris sur le tas à gérer la partie administrative liée à la téléconsultation, les documents à transmettre, les courriers, les lettres aux IDEL…

Face à l’inédit et à l’urgence, je me suis adapté comme tout un chacun et je suis allé chercher l’information qu’il me manquait pour exercer dans les meilleures conditions possibles. Sur Twitter par exemple, j’ai beaucoup appris des urgentistes qui font de la régulation. C’est leur quotidien d’avoir uniquement un contact téléphonique avec le patient. J’ai beaucoup appris de leurs méthodes. 

Ma Formation Médicale  : Avez-vous rencontré des difficultés ?

Christian Lehmann :  Un des problèmes majeurs, ce sont les patients qui ne répondent pas au téléphone. Il y a aussi la difficulté à trouver des outils que les patients sont en mesure d’intégrer rapidement et dont ils sont capables de se servir. Mettre une lésion dans le champ de la caméra n’est pas à la portée de tout le monde ! Il faudrait pouvoir aussi former les patients à l’utilisation des outils de téléconsultation.

J’ai aussi manqué de temps. Si on m’avait dit “la pandémie va arriver”, j’aurais pris le temps de chercher une plateforme adéquate, respectueuse des données, mais il a fallu tout mettre en place en 24-48h et je n’ai pas voulu me lier à une plateforme commerciale à la hâte.  

On était sur le front en permanence. Je n’ai pas eu le temps de prendre une demie-journée pour me former. J’ai tellement manqué de temps pendant cette période que j’ai fait des feuilles de soin que je n’ai envoyées qu’au bout de deux mois et demi…

Il faut bien reconnaître que la téléconsultation instaure un lien différent avec le patient et constitue un boulot un peu différent avec son propre stress et une nécessité de vigilance particulière. Il faut être très carré, très dirigiste, ce qui n’est pas dans mes habitudes.

Ma Formation Médicale  : Quel est votre bilan de cette expérience de télésoin ?

Christian Lehmann :  Pour moi, la téléconsultation est un moment dans ma vie de médecin et est intimement liée à la Covid. Je l’envisageais comme une parenthèse et je suis retourné voir les patients dès que possible tout en gardant quelques plages pour consulter à distance. 

Je connaissais mes patients. Cela m’a aidé à orienter mes décisions. 

Les gens étaient très reconnaissants, notamment les personnes âgées et vulnérables qui étaient contentes de ne pas être laissées sur la touche.

Enfin, la CNAM nous a fait confiance en nous permettant de faire perdurer un vrai accès au soin pour les patients, tout en nous permettant d’être rémunérés correctement. 

Ma Formation Médicale  : Comment voyez-vous la suite ?

Christian Lehmann :  Pour moi, la téléconsultation n’est pas la panacée mais il est indéniable que c’est un moyen utile dans un tel épisode épidémique, notamment pour des patients qui savent se gérer, savent prendre leur tension et qui sont à l’aise avec les outils… 

La téléconsultation permet de gagner du temps, d’éviter des déplacements longs et inutiles. Pour la suite, j’ai décidé de garder des plages de téléconsultation dans la journée pour les patients qui sont loin, tout en maintenant des consultations présentielles. Le téléphone est utile et souvent suffisant. Il faut maintenir toutes les possibilités de téléconsultation. 

Je suis d’ailleurs parti en vacances avec mon matériel de téléconsultation en cas de deuxième vague.

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Depuis mars 2020, le Dr. Christian Lehmann tient un “Journal d’épidémie” dans Libération. Il nous a répondu ici à titre amical.

 

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